mercredi 6 avril 2011

Enquête sur l'évolutionnisme

L'objectif de cet article est de présenter un rapide panorama de l'évolutionnisme essentiellement à partir d'auteurs américains .

I) QUELQUES REPERES DANS LA COMPLEXITE EVOLUTIVE

Conscilience de l'induction

Nous utiliserons ici le concept de convergence dans le sens de conscilience de l'induction,démarche intellectuelle visant à déduire une loi par généralisation d'observations.Dans le cas qui nous intéresse il s'agit de considérations relatives à des théories biologiques.Nous procéderons en quatre temps pour décrire un ensemble cohérent de raisonnements visant à rendre compte de l'évolution.

  1. Premier temps
L'évolutionnisme est traversé par de multiples courants,voir de nombreuses contradictions, qui rendent aussi compte des apports venus de divers horizons;nous nous limiterons à ceux ayant un lien avec les sciences de la nature.Ce parti pris se justifiera si l'on pense que ce champs de connaissances s'est constitué selon la méthode empirique où les faits dialoguent avec les théories et où les chercheurs peuvent expérimenter.Nous présentons d'abord quelques une des alternatives qui ont fait,ou font encore,l'objet d'une exploration systématique.

l'expansion ou l'ouverture du champ des 'possibles':
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Fonctionnalisme | Structuralisme morphologique
Gradualisme      | Uniformitarisme
Saltationnisme   | Adaptationnisme
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                       - alternatives au sein de l'évolutionnisme - (tableau 1)

Pour le spécialiste qu'était S.J.Gould,la vision darwinienne de l'évolution était fonctionnaliste et gradualiste.            

                 2.Deuxième temps
Les dichotomies ainsi repérées dans le champs de l'évolutionnisme,il convient de les replacer dans leur champ cognitif respectif

Fonctionnalisme v/s Structuralisme morphologique sont issus d'observations morphologiques relevant de la biologie (zoologie et botanique) et l'uniformitarisme v/s gradualisme appartiennent au champ de la paléontologie (branche de la géologie).,
Adaptationnisme v/s Saltationnisme sont issus de considérations stratigraphiques (branche de la géologie) et écologiques
Instructionnisme v/s sélectionnisme sont issus de considérations cytologiques,histologiques,immunologiques et génétiques.


Ces diverses alternatives devront construire un ensemble cohérent (une théorie) capable d'expliquer la biodiversité bien qu'elles synthétisent des connaissances qui semblent éparpillées:on sera donc en droit d'évoquer la consilience de l'induction ou la convergence des diverses approches.Darwin est le premier qui a donné le nom de sélection naturelle aux conséquences de l'évolution.


                  3. Troisième temps:partir d'une théorie 'princeps' ici représentée par la sélection naturelle dans 'De l'origine des espèces' de Charles Darwin

Ch.Darwin a travaillé sur une méthode de déduction en histoire naturelle qui utilise quatre principes (classés en fonction de la quantité décroissante d'informations):

  • Principe d'uniformité:permet d'extrapoler à partir de l'observation des rythmes et des modes de changement chez les organismes modernes.
  • Principe de reconstitution d'un ordre de succession:permet de reconnaitre et de ranger dans un ordre de succession diverses configurations que l'on croyait jusqu'alors indépendantes les unes des autres.
  • Principe de consilience ou concordance de différentes données
  • Principe de discordance ou dissonance d'une données

Par analogie avec le schéma darwinien,la convergence,discutée ici,s'applique à des raisonnements plutôt qu'à des 'données'.

         4.Quatrième temps

La convergence disciplinaire,qui a été rendue possible par le travail sur ces concepts ainsi que leur mise à l'épreuve tant du point de vue de l'observation que de l'expérimentation,s'est déroulée dans le temps.

Il y a donc à faire état d'une évolution de la théorie de l'évolution qui peut se schématiser de la façon suivante:

Théorie de Ch. Darwin ------>Théorie Synthétique------>Théorie élargie de la sélection hiérarchique                        
(1859)                                             (1959)                                          (1985/1999)

Ce que nous apprend ce quatrième temps c'est qu'il faut intégrer l'histoire des idées et étudier les trois phases de l'élaboration de l'évolutionnisme pour comprendre le processus à l'oeuvre au sein de la nature.Donc l'interprétation correcte d'observations multiples ne suffit pas à rendre compte de l'hypothèse évolutionniste;il faut intégrer la durée d'une quête de lois générales abstraites puis une période de consilience pour acquérir un minimum de certitude au sein d'une communauté de spécialistes.
Cette démarche est-elle corrélée à une absence d'autorité ?
Il convient tout d'abord de remarquer que ce n'est pas un manque de compétences qui serait responsable d'une sorte d'anarchie mais plutôt d'une multiplicité d'approches concrêtes qui génèrent une très grande quantités d'observations qu'il s'agit d'interpréter correctement.Présenté d'une autre manière il n'y a aucune raison de préférer l'approche paléontologique à celle des embryologistes,des écologistes ou des généticiens.Même les nombreux résultats statistiques ne compensent pas le manque de modèles algébriques,géométriques (en dépit du travail de D'Arcy Thompson) ou topologiques qui caractérisent ce mouvement.Les modèles génétiques ont servi dans le domaine de l'algorithmique ce qui a paradoxalement nuit à l'évolutionnisme car ils ont été en grande partie responsable du « durcissement de la synthèse ».De même les modèles de Fisher ont enrichi les statistiques.

Il faut souligner,par comparaison avec les sciences dures,qu'il n'y a pas véritablement une 'autorité' incontestable – à l'image des équations de la théorie quantique par exemple - qui pilote l'évolutionnisme,même si des savants remarquables par la finesse de leur raisonnement et l'ampleur de leurs travaux ne laissent aucun doute quant à la qualité des résultats.J'en veux pour preuve les propos de S.J.Gould quand il évoque,à la fin du premier livre de son étude sur « La structure de la théorie de l'évolution », le « durcissement » de la théorie synthétique à l'égard du pluralisme:
 Les biologistes de l'évolution forment une communauté petite et bien hiérarchisée (un petit nombre de personnes est en tête et les autres suivent,comme c'est le cas dans beaucoup d'activités humaines)pour qu'il ne soit pas nécessaire d'invoquer quelque tendance scientifique ou sociale profonde et générale afin d'expliquer le changement d'opinion qui s'est opéré dans une grande partie de la communauté des évolutionnistes des différents pays.La révision d'une position théorique opérée par un petit nombre de personne d'importance cruciale,se tenant en contact les uns avec les autres et s'influençant mutuellement de façon étroite,a pu susciter un mouvement général dans toute la discipline. »

En contre-point à cette déclaration je soutiens que la consilience de l'induction dans l'évolutionnisme prouverait l'existence d'une forme d'auto-organisation de la science biologique.C'est à dire qu'il y aurait bien une tendance scientifique qui serait susceptible de provoquer un infléchissement de toute la discipline en dépit d'un consensus momentané suggéré par les leaders.


               II ) LES NOTIONS LIEES A LA CAUSALITE HIERARCHIQUE


L'un des aspects qui frappe le plus l'enquéteur est que les différents acteurs de l'évolutionnisme ont énormément écrit et que les ré-éditions successives de leurs oeuvres ont connu de substantielles modifications (allant jusqu'à soutenir des thèses oppposées à celles jusqu'alors exposées).Ces modifications attestent du dynamisme du projet au cours des 150 annnées qui nous séparent de la publication de la thèse darwinienne :"De l'origine des espèces",mais aussi d'errements typiques des grand 'travaux' collectifs où régne le pluralisme.

                           a)Définitions
Le sujet nous impose les définitions de l'espèce,de l'individu et de l'organisme.

                                 1. Définition de l'espèce:

Si nous renoncions à envisager l'espèce comme une catégorie abstraite pouvant héberger des objet alors une espèce serait une chose particulière,une entité évolutionniste,définie aussi bien par une génése historique que par une cohésion actuelle particulière.
                               2. Définitions de l'organisme et de l'individu
La plupart des auteurs emploient le terme "d'organisme" pour désigner un corps organisé donné,cible de la sélection darwinienne classique et se servent de l'appellation " d'individu" en tant que terme générique applicable à l'unité de la sélection propre à n'importe quel niveau hiérarchique.

                                 3. Définition de l'organisme en tant qu'unité de sélection

Il garantit son individualité au moyen d'interactions homéostatiques entre ses élèments et au moyen d'interactions fonctionnelles.L'organisme est une totalité qui se construit elle-même.

                                   4. Définition de l'individualité de l'espèce

Les mécanismes d'isolement reproductif garantissent les frontières entre les individus évolutionnistes de concert avec la reproduction sexuelle des organismes (c'est à dire entre les élèments composants l'espèce)

                             b) Dichotomies
Dans un premier mouvement les différents courants répertoriés au tableau 1 ont contribué à élargir le champ des possibles on peut dans un second mouvement,plus actuel,considérer que les dichotomies qui subsistent resserent la réflexion sur quelques aspects fondamentaux.

Contractions ou focalisation sur certains thèmes spécialisés :
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Réplicateurs                      |  Interacteurs                                  
Sélection génique              |  Sélection hiérarchique                                                                             
Instructionnisme                |  Sélectionnisme                                            
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                     - alternatives au sein de l'évolutionnisme contemporain - (tableau 2)



                               c) Fondements empiriques et logiques de la théorie de la sélection hiérarchique

Il doit apparaître maintenant assez clairement qu'il y a eu une confusion dans l'élaboration du critère de causalité et que l'introduction de la notion d'inter-acteurs renvoie à la question des niveaux d'action de la cause.Or ces niveaux d'action présentent la caractéristique d'être « emboités » les uns dans les autres:c'est l'un des acquis incontestable du fonctionnalisme évoqué dans le tableau 1 et en particulier des systématiciens.

                --> La sélection hiérarchique

Propriétés fondamentales de la hiérarchie sont au nombre de deux:

  • Les processus opérant à un niveau donné peuvent amplifier ou contrecarrer les processus sélectifs opérant à n'importe quels niveaux adjacent,mais ils peuvent aussi leur être simplement orthogonaux.
  • Chaque niveau de la hiérarchie diffère de tous les autres de façon importante et intéressante à la fois dans le type et la fréquence relative des modes de changement et des mécanismes causals.
- »Le trait crucial commun aux deux propriétés est »l'interdépendance dans la différence » car les niveaux hiérarchiques sont capables d'interagir,tout en présentant des modalités de fonctionnement assez distincts. » (S.J Gould)

La théorie de la sélection clonale a ainsi ouvert la voie aux travaux sur l'évolution cellulaire et à de nombreuses interrogations:pourquoi l'intérêt évolutionnaire du tout (l'organisme) semble le plus souvent l'emporter sur l'intérêt évolutionnaire de niveau inférieur par exemple celui des lignées de cellules? (voir les travaux en immunologie). Les organismes représentent une catégorie très particulière d'individus évolutionnistes,dotés de caractéristiques uniques qui ne se retrouvent pas chez les autres individus figurant aux autres niveaux.D'un point de vue évolutionnaire le rôle du système immunitaire devient décisif:il est le mécanisme principal par lequel les organismes pluricellulaires maintiennent leur unité,leur individualité,contre l'émergence de réplication de niveau inférieur qui pourraient dissoudre cette unité en détruisant l'organisme (Gould & Lloyd 1999)


             --> Quelques caractéristiques majeures de l'évolution hiérarchique

  • L'individu gène :l'aléatoire est un processus fondamental du changement évolutif au niveau génique,si faible que soit sont rôle au niveau organismique.La sélection génique réalise,ici, très bien la répétition des protéines,matériaux brut,contruisant cette « complexité adaptative organisée » qui constitue le niveau supérieur.
  •  L'individu cellule :Cet individu nous fournit la preuve que la hiérarchie actuelle est apparue de « façon contingente et historique et pas du tout par nécessité atemporelle des lois de la matière. »(S.J Gould).La difficulté est liée au fait qu'actuellement la sélection au niveau des lignées cellulaires ne joue plus qu'un rôle mineur.La sélection positive a consisté à mettre en oeuvre des processus supprimant efficacement la propagation différentielle de façon à maintenir l'intégrité fonctionnelle.Malheureusement lorsque ces processus de suppression ne fonctionnent plus et qu'une lignée cellulaire parvient à s'évader de cette contrainte il en résulte de grandes souffrance pour l'organisme.Il faut faire une place ici à la thèse de Leo Buss (1987) selon lequel l'individu multicellulaire est apparu dans l'évolution par le biais de « l'interaction opérant au niveau de l'organisme et la sélection opérant au niveau des lignées cellulaires »
  •   L'individu organisme: C'est le niveau envisagé par Darwin et ses successeurs comme étant la cible de la sélection naturelle.Pour de nombreux naturalistes c'est à ce niveau que s'organise la cohésion maximale fondée sur l'intégration fonctionnelle.
  • L'individu dème : Individu modèlisé par le généticien et statisticien américain Sewall Wright,expert en génétique des populations,à l'origine de la théorie de l'équilibre changeant.Les dèmes sont,de l'avis de la plupart des spécialistes de l'évolution,l'individu le plus difficile à reconnaître comme entité individuelle.
  • L'individu espèce: présente deux caractéristiques:elle sous-tend des tendances au sein des clades au fil des temps géologiques elle sert d'unité de base pour apprécier quantitativement le flux et le reflux de la biodiversité au cours du temps.
       L'individu espèce,malgré ses détracteurs,pose tout un ensemble de problèmes féconds et fait qu'une réflexion approfondie vers ce type de phénomènes semble très prometteuse en biologie théorique mais aussi en terme d'un approfondissement de nos connaissances pratiques sur la biosphère.
  • L'individu clade:il est possible qu'une sélection différentielle opère à des niveaux supérieures à l'espèce mais en rendre compte est difficile actuellement .



Il convient donc de constater que la théorie de sélection hiérarchique impose de découpler la micro-évolution agissant sur les organismes,de la macro-évolution agissant au niveau de l'espèce voir de l'individu à un niveau supérieur (clade ou biosphère).


                               d)L'enseignement de l'évolutionnisme

Il me semble que cet immense édifice est riche d'enseignements à plusieurs titres:

  • Sur le plan général c'est un mouvement qui montre que le pluralisme pourrait guider les décideurs ayant la volonté de bâtir une oeuvre commune en les incitant à travailler dans une perspective de consilience ,approche qui diffère assez fondamentalement de celle dite du 'consensus'.
  • Sur un plan plus technique « l'interdépendance dans la différence » serait la leçon que la nature nous prodiguerait pour oeuvrer dans un état d'esprit tolérant et pluraliste.
  • Les modèles informatiques – modèle génomique – ont pu contribuer au gauchissement de la démarche scientifique en provoquant un rejet du pluralisme et en offrant à l'instructionnisme une visibilité quelque peu immérité.
  • Le problème que l'évolutionnisme peut contribuer à résoudre est celui d'un manque d'autorité arbitraire pour trancher dans un excédent de preuves de qualités évidentes.
  • L'évolutionnisme contribue aux réflexions sur l'auto-organisation et apporte un éclairage sur notre société numérique qui diffère sensiblement de celui proposé par l'approche tributaire de la 'Singularité'.


                                      Pour compléter la réflexion: